Mission d’Alger

C’est en lisant Le désarroi : correspondance (Montréal : VLB, 1988), la correspondance échangée entre les écrivains et médecins, Julien Bigras (1932-1989) et Jacques Ferron (1921-1985), que j’appris cette histoire insolite : il exista au XVIIe siècle une mission à Alger où furent déportés vers la Nouvelle-France des Arabes qui renièrent leur religion ou furent convertis au catholicisme. Ces Arabes se lièrent aux Amérindiens, apprirent les langues indiennes, et devinrent des coureurs de bois.

Je donne à lire les extraits de cette correspondance où il en est question : 

« Rien de plus facile que de falsifier un registre d’état civil. Au XVIIe siècle, il y avait de trente à quarante mille esclaves et renégats chrétiens en Barbarie (Alger, Tunis). Monsieur Vincent (*note de l’éditeur : c’est en 1646 que saint Vincent de Paul créa la mission d’Alger) y fonde une mission en 1642 pendant que les Jésuites, au mépris de l’Édit de Nantes, font du Canada une colonie strictement catholique. Or que faire des renégats, des galériens turcs convertis pour les empêcher de retourner en Barbarie : on les envoie au Canada par La Rochelle, métropole douteuse. » (Jacques Ferron, p. 75)

« Cela expliquerait que les Canadiens, à l’encontre des Américains qui restent cantonnés dans leurs villages, aient fui le bagne catholique parmi les nations amérindiennes (avec leur tuque de galériens), fondant l’immense Amérique française, une hégémonie acceptée par l’Amérique amérindienne, après la grande paix signée à Montréal en 1702. » (Jacques Ferron, p. 75-76)

« C’est le goût de mener la vie des Indiens et d’apprendre leur langue qui fut à l’origine de cette race de « truchements » ou de coureurs de bois. Le goût inverse, de la part de l’Indien, de s’intégrer aux Francs, lui n’existait pas.  » (Julien Bigras, p. 102)

« Les ancêtres arabes des coureurs de bois ont préféré la langue indienne à la foi catholique. La langue et la vie indiennes ont remplacé la langue et la vie catholique française. Par le « truchement » de la langue indienne, ces gens auraient enfin trouvé un sens à leur vie… Mais, surtout, ils seraient devenus les vrais conteurs, les vrais « scribes » d’une nouvelle langue autrement plus riche, plus féconde et plus efficace que la langue française… » (Julien Bigras, p. 103)

« Les renégats, les Turcot, les Daoust, les Gamache, qu’on expédiait en Nouvelle-France pour les empêcher de devenir relaps, y introduisirent vraisemblablement le narcotique qui, mêlé au tabac, dérégla le discours amérindien et donna grande place aux truchements dans leurs palabres. » (Jacques Ferron, p. 104)

Jacques Ferron dans les archives de Radio-Canada : Jacques Ferron, conteur du « pays incertain ».

Julien Bigras parle de cette correspondance échangée avec Jacques Ferron dans les archives de Radio-Canada : Le miroir de la folie.