Passer au contenu principal

En vedette

Écrire, c’est écouter

« Je n’écris pas, c’est plutôt qu’il y a quelque chose en moi que je laisse écrire. Pour moi écrire, c’est écouter. J’écoute des voix silencieuses. Je ne vois rien quand j’écris. J’écoute… Je suis à l’écoute de forces obscures et floues, des forces intérieures, des sons émotionnels, en quelque sorte. (…) Quand j’écris, je n’intellectualise rien, je n’imagine rien... Bien sûr, des images m’apparaissent parfois mais je suis surtout à l’écoute des forces qui me dépassent et m’amènent à écrire. Le plus important est d’écouter. Écouter plutôt que regarder. Comprendre – tâcher de le faire – plutôt que d’expliquer. » – Jon Fosse, Écrire, c’est écouter : Entretiens avec Gabriel Dufay , L’Arche, 2023, p. 29 et 31

Retour de pèlerinage

Quel bien cela faisait de revenir dans les Laurentides sans devoir franchir les portes d’un hôpital, assister à des funérailles ou vivre dans l’inquiétude de les savoir si malades. L’atmosphère était tout autre : plus détendue, empreinte de fébrilité, teintée d’une certaine tristesse… mais aussi d’une joie intérieure. Je les sentais si présents en moi, bienveillants, et je savais que j’allais à la rencontre de souvenirs heureux.

Saint-Sauveur et sa rue principale ont conservé tout leur charme. La place devant l’église, l’église elle-même, le beau concert qui s’y est tenu, la librairie dédiée au bien-être et à la spiritualité, les factoreries, les montagnes majestueuses… Les émotions fortes, les souvenirs ravivés, le temps suspendu… Tout me rappelait hier, et ce sentiment que tout n’était pas encore révolu.

Dans l’autocar vers Saint-Jérôme, l’émotion m’a submergée à la vue de Bellefeuille. Tout s’est ravivé. Là où je marchais avec ma mère… j’étais présente, nous étions là… Lorsque j’ai vu la sortie d’autoroute… j’étais dans la voiture auprès d’elle, et j'éprouvais exactement ce que j’avais vécu à ce moment-là. Il en fut de même dans les rues de Saint-Sauveur. Lorsqu’elle marchait à mes côtés, elle le faisait discrètement, comme mon ombre. C’était comme si je marchais auprès de moi-même, dans un état de bien-être intérieur. Lorsqu’on se promène et que l’on se sent bien, cet état si caractéristique… c’était ainsi que nous marchions l’une auprès de l’autre. J’avais le vif sentiment qu’elle y était encore. Je la voyais très nettement. Je revois mon père assis sur l’un des bancs publics en face de l’église — il aimait tant regarder les passants. Je nous retrouve ensuite, écoutant un spectacle sur la place des festivités, et le plaisir qu’ils y prenaient.

Oui, le passé est le passé, mais parfois, par un effet de la magie du temps, le passé revient dans le présent. Et, sans leur présence physique, mes parents y étaient — par un autre effet de la présence, celle qui échappe au regard. J’ai éprouvé parfois de la joie, un abandon ; la tristesse s’y mêlait, les larmes s’invitaient. Dans l’ensemble, c’était une expérience forte où la magie dominait tout. Au retour, toutefois, la réalité a percé cette bulle. Faut-il, à l’avenir, que j’attende un peu avant d’aller dans le monde, pour atterrir plus en douceur et me laisser bercer, flotter dans les airs encore un peu ? Peut-être un peu.

Chute brutale dans la réalité d’humains qui semblent inexorablement glisser vers la déshumanisation du monde, flirtant avec l’horreur, la peur et la morbidité, et ne se laissant plus bercer par la magie, la lumière, la beauté, la joie. Je sais que certains vivent des tempêtes que je ne peux mesurer. Les nouvelles semblent ne jamais être bonnes. Le quotidien des gens est tissé d’événements complexes, souvent lourds à porter.

Ce pèlerinage m’a offert une parenthèse, un souffle. Il m'a permis de comprendre qu'il importe de rester pur, rester vibrant, rester romantique, se prémunir contre la désillusion, contre le désenchantement. Et puis, passer plus de temps avec soi-même, et s’armer de patience envers nos compagnons humains. Car chacun chemine à son rythme, parfois dans l’obscurité, parfois dans le silence… et parfois, dans la joie.