Une société de travailleurs sans travail (Hannah Arendt)

« En hissant le travail au rang d'une activité proprement humaine*, l'âge moderne a fait de la croissance économique un credo et a précipité l'avènement de la société de consommation. Dès lors, la recherche de croissance n'a eu d'autre effet que d'accélérer le cycle de production et de destruction des biens périssables. Par ailleurs, l'automatisation due aux progrès techniques a peu à peu dégagé les individus de leur fardeau, sans proposer d'alternatives au travail. « Ce que nous avons devant nous, écrit Arendt, c'est la perspective d'une société de travailleurs sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire**. »

– extrait de l'article de Céline Bagault, « Hannah Arendt : L'impasse de la modernité », Les Grands Dossiers des Sciences Humaines : Les penseurs de la société de Tocqueville à Saskia Sassen, no. 30, Mars-avril-mai 2013, p. 44-45

* Pour Arendt, la vie active se divise en trois activités : le travail, l'oeuvre et l'action.
« Seules l'oeuvre et l'action, qui participent à l'édification d'un monde commun, sont des activités spécifiquement humaines. L'oeuvre car elle crée des objets durables – des objets d'art, de culture, ou d'artisanat – qui ne se consomment pas. L'action politique car elle est l'art d'interrompre le cycle des générations, d'inventer des commencements, de faire l'histoire. » (ibid., p. 44)

** Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, 1958, rééd. Gallimard, 2012.