Appropriation de soi

Aujourd’hui se propagent le stress, le harcèlement, la perte de sens et la souffrance dans le monde du travail. À l’échelon individuel, comment se protéger contre les méfaits de l’organisation du travail? Comment parvenir à préserver une parcelle de soi-même, rester maître de son temps et résister à l’aliénation?

Philosophie Magazine (mensuel numéro 39, mai 2010) répond à ces questions dans son dossier : « Le travail nuit-il à la santé? ».

Abus d’investissement
« La volonté de s’accomplir coûte que coûte dans son travail peut avoir des effets pervers. Ainsi l’aliénation peut-elle naître d’une confiance trop naïve dans les puissances bienfaisantes du labeur, conduisant à en espérer davantage qu’il ne peut apporter. Cette tendance à tout vouloir de son travail est flattée par de nombreux managers. En offrant à leurs employés des conditions confortables et la possibilité de progresser rapidement en termes de carrière et de salaire, ils encouragent les individus à tout donner, au risque de leur vie privée et de leur santé. » (Michel Eltchaninoff, p. 55)

Attentes irréalistes à l’égard du travail
« Pourquoi le travail aurait-il pour effet de nous isoler, de nous affaiblir, de nous abattre? Précisément parce que nous ne comptons pas sur lui uniquement pour gagner de l’argent. Nous en attendons des satisfactions personnelles et sociales, un moyen d’apprendre, de nous améliorer, de nous émanciper. L’aliénation est le nom de cet immense espoir déçu. » (Michel Eltchaninoff, p. 48)

Beauté intrinsèque de tout travail
« La solution serait d’affronter la réalité et les finalités de son travail, quitte à emprunter, si c’est possible, une autre voie. À moins de rabaisser ses prétentions et d’apprendre à respecter, dans les tâches les plus humbles et apparemment les plus absurdes, la beauté intrinsèque de tout travail. » (Michel Eltchaninoff, p. 55)

Réalisme et pessimisme
« Une certaine dose de réalisme ou de pessimisme sur les vertus du travail peut contribuer à nous rendre plus heureux. » (Alain de Botton, philosophe, p. 43)

Se tourner vers la philosophie
« De façon générale, les philosophes ont toujours été méfiants vis-à-vis du travail, notamment physique et servile. Ils ont aussi continûment mis en garde leurs semblables contre la médiocrité d’une vie qui serait tout entière dévolue à la survie ou à l’accumulation de richesses. À côté des nécessités économiques, les philosophes n’ont de cesse d’affirmer la nécessité de la contemplation et de la réflexion gratuite, pour que la condition humaine soit vraiment accomplie et digne d’être vécue. » (Alexandre Lacroix, rédacteur en chef, p. 39)

Temps privé
« La fin de l’aliénation dépend donc à la fois des conditions objectives de travail et de notre rapport intime à nos tâches. Ainsi savoir résister au désir de découvrir ses messages en temps réel ou respecter le temps privé permet-il, au moins dans un premier temps, de réduire cette aliénation qui touche à notre conscience elle-même. » (Michel Eltchaninoff, p. 52)

Une activité parmi tant d’autres
« Travailler est une nécessité, mais aussi, ne l’oublions pas, une immense fatigue. Il ne faudrait pas que cette activité coupe court à tous nos rêves, envahisse à chaque instant notre conscience, dirige nos émotions. Si notre survie dépend de notre obéissance aux diktats de l’univers professionnel, la vie est ailleurs. » (Alexandre Lacroix, rédacteur en chef, p. 39)

Voies multiples pour exprimer ses talents
« Bien travailler, prendre du plaisir dans son travail n’a pas toujours besoin d’être fait en référence à un but ultime grandiose. (…) Nous exagérons l’idée que seuls certains métiers donnent des gratifications. Les voies pour exprimer ses talents sont multiples. » (Alain de Botton, philosophe, p. 43)

À lire:

Honneth, Axel. La société du mépris. Paris : La découverte, 2006.
Marx, Karl. Manuscrits de 1844. Paris : Flammarion, 2008, 572 p.
Stiegler, Bernard. Pour une nouvelle critique de l’économie politique. Paris : Galilée, 2009, 96 p.