La souffrance

« Le mot souffrance est un dérivé du latin subferre, composé du verbe ferre, porter, et du préfixe sub qui veut dire sous, dessous. Le terme dans son ensemble exprime donc l'idée de: se trouver dessous, porter par-dessous, sup-porter.

D'autres termes voisins de souffrance évoquent en revanche une image de lourdeur, un sentiment d'oppression : c'est le cas de mots comme affliction, peine et dépression. Le mot dépression, en fait, dérive du latin deprimere qui signifie presser sur quelque chose, le pousser vers le bas.

On pourrait de même distinguer deux sortes de souffrances : l'une qui nous donne un sentiment d'oppression – on se sent comme écrasé par quelque chose d'extérieur à soi. Et l'autre qui consiste à simplement sup-porter, rester dessous, assumer, ne faire qu'un avec la souffrance en question. (...)

Il existe différentes sortes de souffrances. Vous pouvez souffrir parce que vous désirez ardemment quelque chose et que vous n'arrivez pas à l'avoir, mais même si vous l'obtenez, vous souffrirez encore parce que vous aurez peur de la perdre. Que vous arriviez à vos fins ou non, de toute façon vous aurez mal. Et pourquoi ? Parce que tout change sans arrêt dans la vie.

Le mot souffrance ne dépeint pas seulement les moments de crise les plus pénibles dans nos vies, mais une très large gamme de sentiments comme la frustration, la peine, l'angoisse, par exemple, le plus généralement tout ce qui exprime notre insatisfaction profonde par rapport à la vie. (...) Rien n'est jamais sûr et garanti d'avance dans la vie, et c'est cette incertitude permanente qui nous angoisse. (...) C'est dans ce sens-là qu'on peut dire que la vie est souffrance. (...)

Au bout du compte, ce qui nous arrive a moins d'importance que la manière dont nous y réagissons. (...)

De même, tant que nous ne saurons pas courber l'échine pour supporter les souffrances de la vie (souvenez-vous de l'étymologie du mot), nous ne serons pas capables de comprendre ce qu'est notre vie.

Au lieu de se rebeller contre la souffrance, il s'agit de l'assumer et ne faire qu'un avec elle. Ce qui ne veut pas dire rester passif et ne rien faire. (...) Il s'agit simplement de ne plus se dissocier de la souffrance, de l'assumer complètement au point de ne faire qu'un avec elle. On renonce à se protéger ou à chercher des échappatoires. On s'ouvre complètement, on accepte d'être totalement vulnérable devant la vie et c'est, paradoxalement, la seule manière de bien la vivre. (...)

En faisant face à l'instant, vous vous retrouverez face à face avec la souffrance; et, si vous parvenez à vous laisser aller à ce sentiment et à l'assumer, tel quel, vous comprendrez. Vous n'aurez besoin de personne pour venir vous expliquer la nature de votre être ou le sens de la vie. »

– Charlotte Joko Beck, Soyez zen : La pratique du zen au quotidien, Pocket, 1990, p. 192-196, 198 6