Temps de vie (Jean-Louis Servan-Schreiber)

« Ne cherchons pas ailleurs les raisons de fond du sentiment du manque de temps : nos envies se sont accrues beaucoup plus vite que le temps dont nous disposons. »

– Jean-Louis Servan-Schreiber, L’art du temps : essai d’action, Paris : Fayard, 1985

Tout le monde le sait, le travail prend beaucoup de notre temps. S’il permet d’épanouir une partie essentielle de nous-mêmes, il ne comble pas tout, loin de là. Il existe bien d'autres domaines (ou temps) où nous pouvons nous réaliser pleinement.

Jean-Louis Servan-Schreiber en dresse une liste dans son livre sur L’art du temps. Il s'agit d'une liste subjective et schématique (énumération sans hiérarchie) d’une quinzaine de temps variés. Je vous les donne à lire.

Temps du corps
L’entretenir, l’entraîner, le soigner, se rendre compte qu’il peut nous donner de réelles satisfactions si on se consacre un peu à lui.

Temps des loisirs
Cinéma, télévision, concerts ou théâtre : quand sommes-nous spectateurs ? Dîners, réceptions, manifestations diverses : y trouverons-nous plaisir ? Jeux, sports (à voir, à faire) : savons-nous nous amuser ? Et la fête ?

Temps du plaisir
Le mot est pris là dans le sens de sensualité. A-t-elle dans notre vie la place et le temps qu’elle mérite ? Restons-nous en deçà de nos fantasmes ?

Temps de la consommation
Faire des courses, sans mauvaise conscience et sans presse. Pouvoir ensuite bricoler, manipuler, ranger, bref, profiter des objets que nous faisons entrer dans notre vie.

Temps des voyages
La découverte, l’aventure ou, tout simplement, le dépaysement et les vacances. Être ailleurs nous transforme, nous aère, mais prend beaucoup de temps. En avons-nous assez ?

Temps du repos
Avons-nous notre compte d’heures de sommeil, de moments de récupération, de weekends désencombrés ? Ou bien tirons-nous des chèques sur notre santé ?

Temps de l’amour
Une relation réussie, c’est tout à fait absorbant. On n’a pas encore mis la tendresse en pilule ni l’intimité en fiches. Le temps semble bien être à l’amour ce que le soleil est aux plantes. L’ensoleillement est-il suffisant ?

Temps des autres
L’amitié ne se porte plus très bien de nos jours. Avec tout ce qu’il y a à faire, il faut bien, n’est-ce pas, sacrifier quelque chose. Vous y êtes-vous résigné ? Les autres, cela peut être aussi votre (vos) communauté(s), à laquelle vous aimeriez participer davantage, ou quelque projet généreux. Quand ?

Temps de la famille
Cérémonies, expéditions ou câlins collectifs, nos parents comme nos enfants voudraient bien un bout de notre temps. Ils l’expriment avec reproche ou pudeur. Et nous, n’en avons-nous pas aussi besoin qu’eux ?

Temps de lecture
Les journaux effleurés, les livres à peine entamés nous font honte et envie. Quand nous passons devant une librairie, nous détournons les yeux pour ne pas raviver le remords. Sommes-nous résignés à vivre idiots ?

Temps de développement
Les jeunes arrivent, ils parlent des langues étrangères et chatouillent les ordinateurs. Même un adulte, c’est légal, a le droit de continuer à apprendre. Nous savons, n’est-ce pas, que nous en sommes encore capables. Mais c’est long.

Temps de création
Nos métiers sont trop souvent prévisibles et répétitifs. Rares sont ceux où l’on peut s’exprimer. Chacun aimerait savoir si un musicien, un auteur, un peintre ou un inventeur cohabite dans la même peau que soi.

Temps de méditation
La beauté, la Voie lactée, la nature ou le zen nous « interpellent quelque part ». La vie passe comme un T.G.V. et nous ne savons toujours pas ce que nous faisons là. L’interrogation métaphysique ou poétique revient, paraît-il, très forte. Si nous osions, nous irions peut-être y voir.

Temps de régression
Depuis combien de temps ne nous sommes-nous pas roulés par terre avec des animaux ou des enfants ? Savons-nous encore faire la bête, le pitre ou chanter à tue-tête ? Il y aura toujours en nous un gosse qui va nous jouer des tours s’il ne lui est jamais permis de montrer le bout de son nez.

Temps de solitude
Hormis en voyage professionnel, dans le cadre inspirant d’un Novotel ou d’un Holiday Inn, quand profitons-nous de la solitude ? Comment saurons-nous ce que nous avons à nous dire si nous ne nous rencontrons jamais en tête-à-tête ? Peu d’entre nous ont envie de vivre en solitaire, mais qui n’aimerait enfin être un peu seul ?

- Jean-Louis Servan-Schreiber, L’art du temps : essai d’action, Paris : Fayard, 1985, p. 109-110 (extraits)

Du même auteur : Le nouvel art du temps : contre le stress, Paris : Le livre de poche, 2002, 248 p.