Espoir et désespoir

« La plupart des gens ne s'avouent pas leurs sentiments de peur, d'ennui, de solitude et de désespoir – c'est-à-dire qu'ils en sont inconscients, et cela pour une raison simple : notre schéma social est tel que l'homme arrivé est censé ne pas avoir peur de s'ennuyer, ni d'être seul. Il doit considérer ce monde comme le meilleur; pour avoir le plus de chances de promotion sociale, il doit refouler aussi bien la peur que le doute, l'ennui que le désespoir.

Consciemment beaucoup de gens se sentent pleins d'espoir alors qu'inconsciemment ils sont désespérés; l'inverse représente l'exception.

Ce qui importe dans l'examen de l'espoir et du désespoir, ce n'est pas essentiellement ce que les gens pensent de leurs sentiments, mais ce qu'ils ressentent vraiment.

Derrière les mots et les phrases qu'ils prononcent, on peut déceler leurs vrais sentiments à l'expression du visage, à la manière de marcher, à la capacité de réagir avec intérêt en face de ce qu'ils ont devant les yeux et à l'absence de fanatisme dont ils font preuve quand on leur présente une argumentation sensée. »

– Erich Fromm, Espoir et révolution : Vers l'humanisation de la technique, essai traduit de l'américain par Gérard D. Khoury, Montréal : Éditions Sélect, c1982, p. 23-24