Le bien-être

« Le bien-être est l'état de celui qui est arrivé au plein développement de sa raison. Raison, ici, n'est pas pris dans le sens d'un simple jugement intellectuel, mais dans celui de la réalité appréhendée en « laissant les choses être » (selon les termes de Heidegger) ce qu'elles sont. Le bien-être n'est accessible que dans la mesure où le narcissisme personnel a été dépassé, dans la mesure où l'on se fait ouvert, coopérant, sensible, éveillé, vide (dans le sens Zen du mot). Le bien-être signifie être pleinement, affectivement, relié à l'homme et à la nature.

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Le bien-être signifie être totalement né, devenir réellement ce que l'on est potentiellement. Cela signifie aussi posséder la pleine capacité d'éprouver joie et douleur, ou, pour l'exprimer mieux encore, de s'éveiller de cette demi-somnolence dans laquelle vit l'homme moyen, et d'atteindre enfin le réveil total. Cela signifie en plus d'être créatif. C'est-à-dire de réagir et de répondre à moi-même, aux autres, à toutes les choses existantes. De réagir et de répondre en tant que l'homme total que je suis, à la réalité de chacun et de chaque chose tels qu'ils sont en eux-mêmes.

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Le bien-être, en fin de compte, signifie laisser tomber son Ego personnel, renoncer à l'avidité. Cesser de poursuivre la conservation et l'accroissement de l'Ego. Il signifie être, et s'éprouver soi-même dans l'acte d'être et non dans celui d'avoir, d'entasser, de convoiter, d'utiliser. »

– Erich Fromm, "Psychanalyse et Bouddhisme Zen", dans D.T. Suzuki, E. Fromm et R. DeMartino, Bouddhisme Zen et psychanalyse, Paris : PUF, 1971 (coll. Quadrige), p. 102